le tilleul de la Morlachère à Vertou
Quelquefois, c ’est par décision d ’un groupe, d ’une communauté réunie dans la liesse ou dans le souvenir des
souffrances passées, qu ’un arbre est planté, comme un geste d ’espoir, comme un élan de fraternité retrouvée, comme un message adressé aux générations futures. L ’arbre est alors témoin parce qu ’on a voulu qu ’il témoigne, et parce qu ’on l ’a planté avec autant de confiance que si on avait érigé un monument de pierre.Chacun sait confusément que les arbres survivent aux tourments des hommes, bien plus longtemps souvent que
les constructions ou les stèles qu ’on avait crues définitives. L ’arbre grandira, et les humains auront pour tâche de révéler le sens de sa présence, de maintenir le souvenir vivace, sans quoi notre arbre ne sera plus qu ’un arbre parmi les arbres. L ’arbre témoin, toujours, est témoin de ce dont les hommes veulent bien se souvenir.Arbres de Mai, arbres de la Liberté - Dans cette longue tradition des arbres du souvenir, il y eut depuis le Moyen Âge les «arbres de mai »,arbres de fête et de renouveau érigés lors des traditionnelles réjouissances de printemps. Cette pratique prit au fil du temps une signification sociale et politique, et dès les premières années de la Révolution, les arbres de Mai furent rebaptisés arbres de la Nation, arbres de la Fraternité, arbres de la Liberté. D ’abord plantés dans un esprit de fête, ces arbres prirent une signification plus nettement révolutionnaire, et leur plantation ou leur destruction donnèrent lieu à des débats passionnés. À l ’origine simples mâts décorés des symboles de la République, puis arbres abattus dépourvus de racines, les arbres de la Liberté furent à partir de 1793 choisis et plantés avec soin, pour pérenniser le souvenir des célébrations du nouvel idéal. Un député de l ’an II imagina de choisir le chêne pour symbole de la Liberté, des arbres exotiques acclimatés comme emblème de la Fraternité, et des arbres indigènes pour célébrer l ’Égalité.L ’abbéGrégoire proposa lui aussi le chêne comme essence à retenir pour les arbres de la Liberté, mais la Convention laissa le choix aux communes, et l ’on planta aussi des platanes, des marronniers. En Loire-Atlantique de nombreux arbres de la Liberté furent plantés, à Couëron ou à Besné, à Sucé-sur-Erdre ou à Vertou, à la Bénate à Saint-Philbert-de-Grandlieu, mais il ne semble pas qu ’aucun d ’entre eux ait survécu. Un chêne,au Pontreau à Mouzillon, est considéré parfois comme un arbre de la Liberté planté pendant la Révolution. Il y eut ensuite d ’autres séries de plantations, pour commémorer des changements de régime, mais on n ’en conserve pas de trace. Des arbres de la Liberté, ou arbres de la Paix, furent plantés à la fin des conflits. À Vertou, le tilleul de la Morlachère commémore l ’armistice depuis 1918,comme dans de nombreuses communes de France où le tilleul fut souvent choisi, peut-être pour la rapidité de sa croissance, la majesté de son port, son importante longévité. par l ’Abbé Grégoire, An II de la République | ![]() le tilleul de la Morlachère à Vertou |
L ’arbre de la liberté croîtra ; avec lui croîtront les enfants de la patrie ; à sa présence ils éprouveront toujours de douces émotions. Sa verdure fixera leurs regards par la couleur la plus amie de l ’œil et la plus répandue dans la nature ; dans les beaux jours de l ’été ils iront demander de la fraîcheur ; et ce chêne dont les rameaux sortent à angles droits étendra son ombrage sur la famille commune.
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l ’a r b r e e t l a g u e r r e
les pins parasols de la Pénoue à Petit-Mars
La Révolution et les guerres de Vendée ont aussi leur livre d ’images,où les chemins creux du bocage vont de
fermes amies en villages ennemis, où les arbres sont autant de cachettes et de refuges, de lieux de sacrifice ou de célébrations religieuses. L ’espace rural dans son ensemble est le cadre d ’événements de toute nature, où se mêlent les faits historiques, et d ’extraordinaires aventures que la tradition orale a rapprochées de la légende. La ramure des arbres évoque parfois l ’image ancienne de l ’arbre potence, lieu d ’expiation et de martyre, après avoir été le lieu de la justice ou de l ’injustice rapidement rendues près des champs de bataille. Nombre d ’arbres ont, d ’une manière ou d ’une autre, trouvé cousinage avec la mort, et le rôle du poteau d ’exécution fait partie de cette triste mémoire.
le chêne du Bois Divais à Besné
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le bouleau de l ’étang de La Blisière à Juigné-les-Moutiers
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Le chêne de Besné -À Besné,les années 1793 et 1794 voient des réfugiés blancs se cacher au Bois-Divais.L ’abbé Augustin Davy vient dire la messe dans une grange. Lors des perquisitions républicaines, le prêtre se cache dans le tronc creux d ’un chêne. L’arbre est aujourd’hui l ’objet de la vénération des habitants du lieu. Les pins de Petit-Mars -À Petit-Mars, c ’est depuis les branches d’un pin parasol de la Pénoue qu ’un tireur caché assassine Joseph Tavenard d ’un coup de pistolet, dans la nuit du 8 au 9 prairial de l’an II. La victime est assesseur du juge de paix du canton et chef de la garde nationale. Sa mort est une vengeance des chouans. L’histoire se raconte encore, comme authentifiée par la survivance des pins sur le site. Maumusson et Clisson -On cite à Maumusson la présence d ’un «chêne qui saigne ».La tradition rapporte qu ’à chaque anniversaire de l ’exécution contre son tronc d ’un prêtre fusillé lors des événements révolutionnaires, les plaies produites par les balles laissaient s ’écouler de la sève. On entendait l ’arbre gémir. À Clisson, des chouans furent massacrés en 1793,et leurs corps jetés dans le puits du château. Un cèdre fut planté en souvenir de l’événement,dont on raconta ensuite qu ’il avait poussé seul et qu ’il saignait rouge si on entaillait son écorce. L ’arbre aux Chouans disparut en 1960. |
Le bouleau et le châtaignier de Juigné-les-Moûtiers sont liés aux heures sombres de la Seconde Guerre mondiale. Fin 1941,des actes de résistance sont suivis de l ’exécution de cinquante, puis de cent otages. L ’occupant allemand conduit le 15 décembre 1941 neuf prisonniers politiques, issus du camp de Choisel à Châteaubriant, dans une clairière près de l ’étang de la Blisière. Les victimes seront attachées à neuf arbres, et fusillées. Le châtaignier conserve la trace de l ’impact d ’une des balles meurtrières. La cicatrice, encore aujourd’hui, est maintenue ouverte par les visiteurs du site. Un monument est érigé à proximité, et les arbres du martyre sont désignés par les trois couleurs de la République peintes sur leur tronc, comme les colonnes des églises recevaient autrefois l ’emblème peint des seigneurs décédés, mais aussi comme s ’ilss ’étaient vus décorés à titre militaire d ’une sorte de ruban honorifique. Les arbres témoins de la tragédie sont devenus des arbres du souvenir.
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